Grimmandir ne s'attendait pas à l'attaque et se retrouva assaillit de chatouilles. Val s'avait s'y prendre et le dragon partit d'un rire énorme qui se traduisait par des grondements et des grognements essoufflés pendant qu'il se tortillait entre les mains de son compagnon. Sa fébrilité ne dura qu'un instant: un éclair frappa le sol, faisant éclater la terre à son point d'impact.
Aussitôt le dragon se redressa, l'instinct titillé par quelque chose. Le ciel était lumineux, aucun nuage à l'horizon et le soleil était sur le point de se coucher. Aucunes raisons pour qu'un éclair frappe. De plus, il était tombé en plein dans leur campement ce qui était étrange étant donné qu'ils étaient entourés d'arbres. Grimm se releva, le nez au vent, inquiet. Son sentiment était communiqué à son dragonnier. Il y avait quelqu'un par ici et il leur avait envoyé un message clair de sa présence.
Le dragon bleu battant de la queue comme un chat agacé, transmit sa pensée exclusivement à l'elfe:

*Il y a quelqu'un qui nous observe. Nous ne pouvons pas nous risquer à entrer en forêt, nous ne savons pas où il est. Je ne le vois pas et il a dut fermer son esprit. Il ne devrait pas tarder à se montrer je pense. Qu'en dis-tu ?*

La créature bleue saphir n'aimait pas être surveillée. C'était une sensation désagréable. Grimm n'aimait pas être épié comme une proie, c'était insultant. C'était lui le chasseur et il fallait être bien lâche pour observer un dragon à son insu pour l'attaquer par derrière. D'autant que les chances de reussite étaient toujours très minces.
Le dragon n'aimait pas la situation dans laquelle il était: il ne pouvait pas bouger sans risquer de se faire surprendre, ne voyait rien et ne percevait rien. Mais cela, c'était quand le vent ne s'était pas levé. Un souffle d'air chariant l'odeur fétide de l'espion asssaillit la créature ailée qui aurait bien aimé froncer les naseaux. Jamais Grimmandir n'avait sentit d'Ombre mais l'odeur était si mauvaise, si chargée de mort qu'elle ne pouvait pas être naturelle.
Tournant sa grosse tête cornue dans la direction du vent, le dragon laissa sortir un grondement de sa gorge, découvrant doucement ses crocs.

*Quelque part par là.*

Grimmandir acceuillit avec un grondement terrible le nouveau venu. Il ne savait pas ce que c'était qu'un Ombre mais cette créature puait le sang avarié. Le dragon voulut se jeter sur lui pour le répuir en charpille mais aucun de ses muscles ne répondit. Il était complètement bloqué !
Grimm enrageait. C'était une technique bien lâche que d'immobiliser ses ennemis d'entrée de jeu. Le dragon bleu se débattit contre lui même mais rien n'y fit, il était bloqué. Et le sort était trop puissant pour qu'il puisse le combattre.
Ecoeuré par sa propre naïveté, il n'avait plus qu'à attendre. L'Ombre s'approcha de lui et le regarda dans l'oeil. C'était comme s'il le jaugeait. Le dragon lui aurait bien balancé un coup de corne pour l'éloigner tellement il sentait mauvais. Heureusement, l'immonde créature s'éloigna pour s'interesser à l'elfe puis se recula pour les considerer tout les deux. Et Grimmandir retrouva sa liberté de mouvement. Il ne tarda pas une seconde de plus: ouvrant grand sa gueule armée de crocs, il laissa le feu monter dans sa gorge et déferler sur l'Ombre dans un torrent incondescent. Loin d'avoir l'expression douce qu'il affichait habituellement, la créature ailée semblait hérissé et terrifiante. Son regard s'était fait aussi dur que de la glace et le sang sauvage qui coulait en lui bouillonnait. A cet instant il maudit le sort de ne pas l'avoir fait grandir dans la nature. Il aurait alors été assez fort pour se défendre.

*Tu connais cet être Valaraukar ?*

Grimmandir ne s'attendait pas à avoir causé un quelconque dommage à l'Ombre mais sa colère l'avait poussé à agir.

*Non !*

Grimmandir se précipita sur l'elfe et le fit tomber au sol, sous son ventre. La foudre frappa le dragon de plein fouet. La créature sentit ses muscles se tétaniser et un désagréables picotement lui courut le long du dos. Le corp fûmant, Grimm se secoua pour tenter de retrouver ses esprits, la vue légèrement brouillée par l'afflux de lumière.
Le dragon tituba légèrement, les ailes à demi ouvertes pour pouvoir garder l'équilibre.
Valaraukar était entier et l'Ombre toujours aussi désinvolte et sur de lui. Grimm avait envie de lui arracher la tête pour ce qu'il avait oser faire. Sans être sur de bien viser mais plein de hargne, le dragon bondit sur l'Ombre, la mâchoire grande ouverte. Il avait l'intention de saisir ce démon qui se permettait d'attenter à la vie de son dragonnier et de le démembrer puisqu'il semblait apprécier cette méthode.
Mais Grimm était plus touché que ce qu'il voulait bien admettre et il rata sa cible d'un bon mêtre. Ses crocs se refermèrent sur le tronc d'un arbre qu'il déracina sous le choc.
Perturbé dans son équilibre et sa vision dans l'espace, le dragon saphir appella sa moitié à la vigilence. la frustration de ne pas être en état immédiat de défendre l'elfe rendait Grimmandir fou de rage contre lui même.

*Valaraukar, fais attention je t'en prie ! *

La créature aux écailles brillantes ne tenait pas debout et voyait trouble. Il llui fallait reprendre son souffle.
Pour le moment, Grimm ne ferait que déranger Valaraukar. Mieux vallait rester de côté le temps de récuperer des forces tout en gardant un oeil (vitreux) sur la scène.
Etrange, l'elfe semblait connaître le démon aux yeux rouges.

Grimmandir poussa un grand soupir. Il venait de laisser s'échapper l'homme qui en voulait à la vie de son dragonnier. La déçeption avait un goût amer. Avec un air abattu, le dragon pencha la tête vers son dragonnier.

*Je suis désolé, je pensais l'avoir. Ca ne se passera plus comme ça. Je vais m'entraîner à partir de maintenant.*

La créature ailée apprécia le contact avec l'elfe. C'était rassurant, il se sentait en sécurité et ça le réconfortait un peu de son échec...Même si la frustration resterait vivace pour encore longtemps.
A la remarque de Val, Grimm poussa un grognement qui équivalait à un sourire. C'était, en effet, une journée chargée en rebondissement. La veille encore il était un dragon solitaire et sans histoire et voila que maintenant il avait un dragonnier et avait du affronter des ennemis deux fois en moins de trois heures. A croire que le destin poursuivait les dragonniers et leur compagnon.
Sentant que l'elfe allait de nouveau le chatouiller, le dragon releva la tête poussa doucement son dragonnier du bout du museau vers ce qu'il restait du feu de camp.

*Plutôt que de faire l'idiot, tu devrais rallumer un feu. Il fait sombre et bientôt les animaux vont sortir de leur tanière. Il est temps de prendre du repos d'autant que demain, après ta descente en ville, on commence notre voyage.*

Le ton était doux mais clair: Grimmandir était fatigué mais surtout déçu de lui même. Le dragon alla se coucher d'un côté du feu avec un soupir. Il posa la tête au sol et l'herbe se coucha sous l'effet de son souffle. Il avait les yeux perdu dans le vague.
Sa fièreté avait été blessée mais plus que tout, il se sentait trop faible pour aider son dragonnier et cela lui était insupportable. Il allait devoir s'endurcir.

Grimmandir poussa un soupir un peu sceptique puis eu un sourire mental. Il fit par de sa chaleur et de sa reconnaissance à son ami et frotta doucement sa joue contre l'elfe. Cet homme avait le chic pour lui donner le moral. Le dragon se mit à ronronner doucement avant de reposer sa tête au sol. Mais cette fois il ramena sa queue et s'enroula un peu sur lui même, formant comme un nid autour de l'elfe et lui offrant un abris contre le vent et le froid, son aile légèrement dépliée le protegeant d'une pluie éventuelle.

*Et bien s'il faut voler, nous allons devoir prendre des forces. J'espère que l'expérience te plaira.*

Le dragon leva la tête et regarda le ciel sombre où brillaient déjà des étoiles. Il souffla quelques ronds de fumée avant de tourner son oeil saphir vers son dragonnier.
Il le poussa du bout du museau avec douceur.

*Tu as raison. Je vais m'entraîner, apprendre à me battre pour de vrai, pas juste à me bagarrer. Et dans le ciel, tu apprendras à te battre aussi. Mais il faudra de l'équipement. Je te suivrais n'importe où et je serai le meilleur partenaire qui soit. Comme tu l'as dis, nous serons les maîtres des airs.*

Avec un soupir d'aise, le dragon poussa sa tête au sol. Un vague d'amour et de confiance le submergea et il la transmit entièrement à Val. Cette nuit il se sentirait plus tranquille que jamais.

La terre frémit sous les premiers roulements du tonnerre lointain. L’air chargé d’humidité semblait s’être fait plus dense et l’odeur de la pluie était charriée par le vent. Malgré le soleil qui brillait à l’est, le ciel s’était couvert de nuages noirs, promettant un orage monumental. Bientôt viendraient les bourrasques, les trombes d’eau, la foudre… Il fallait trouver refuge avant que la nature ne se déchaine.
Quelque part au sud de Sílthrim, la forêt bruissait du pas pressé d’animaux à la recherche d’un abris contre le mauvais temps à venir. Les taillis et les sous-bois épais offraient une protection satisfaisante tandis que les propriétaires d’un terrier ou d’un nid s’y calfeutraient déjà. Mais lorsque les buissons ne sont pas assez grands et les terriers pas assez profonds pour s’y cacher, il ne reste plus qu’à errer entre les arbres en espérant que les frondaisons soient assez épaisses pour entraver la pluie. Briam ne craignait pas spécialement les orages, tant qu’il n’était pas obligé de voler dessous, mais il n’appréciait pas plus le froid de la pluie que n’importe quelle autre créature. Après s’être posé tant bien que mal entre les arbres immenses, il s’était mis en quête d’un espace couvert à la mesure de ses dimensions hors normes.

Dix années ne sont rien pour un dragon, mais quand l’on grandit sans cesse, même d’à peine quelques centimètres, tout finit par sembler étroit et bas de plafond. Il faut alors choisir entre éviter la moindre forêt ou piétiner quelques arbrisseaux. Pour le grand dragon bleu, le choix était vite fait : il appréciait les grands espaces dégagés, les montagnes ou le bord de mer, là où il n’avait pas à surveiller ses moindres mouvements pour ne pas se cogner ou érafler ses somptueuses écailles. Quel malheur de les retrouver couvertes de boue, de mousse ou de traces d’écorce après avoir navigué entre les troncs ! Il préférait ne pas y penser tandis qu’il acheminait sa lourde carcasse de saurien fantastique à travers les bois. Tant qu’il pouvait s’enrouler autour d’un gros arbre centenaire pour profiter de l’abri tout relatif que cela offrait contre la pluie, il n’allait pas se plaindre. Du moins pas à voix haute.

Un nouveau coup de tonnerre l’avertit que l’orage était proche. Par manque de temps et faute de pouvoir trouver mieux dans les environs, Briam jeta son dévolu sur un rassemblement de pins qui semblaient un peu plus garnis que les autres et se coucha à leur pied en espérant que la tempête passerait vite. Repliant son grand corps autant qu’il était possible de le faire, la queue enroulée autour de lui, le dragon leva le nez vers le ciel pour humer l’air profondément. Il se trouvait sans doute trop proche de la ville elfique de Sílthrim et ces bois étaient sans doute trop étouffants pour lui, mais il trouvait un certain apaisement à arpenter ces terres. Comme lorsque l’on revient dans la maison qui nous a vu grandir après de très longues années d’absence et qu’en dépit de la poussière ou du délabrement, on se sent encore chez soi.
Après avoir été pris en chasse à plusieurs reprises pour s’être trop approché des zones habitées, Briam avait pris la décision de s’exiler dans les régions les plus reculées. Le nord de l’Alagaesia, les espaces abandonnés du littoral, les montagnes des Béors… Parfois même le désert. Tant qu’il pouvait se faire oublier et voler librement, il était heureux. Les années étaient passées en un clin d'œil, à la fois pleines de souvenirs uniques et pourtant si étrangement similaires lorsqu’il les contemplait avec le recul. Récemment, il s’était montré moins prudent dans ses déplacements et si le contact avec les autres races étaient toujours évité, il ne craignait plus de s’approcher des villes ou des villages sur sa route. L’âge et l’expérience l’avaient rendu plus fort et peut-être aussi plus imbu de lui-même : il se sentait prêt à affronter un ou deux adversaires, si nécessaire. Et pour l’instant, aucun n’avait osé pointer le bout de son nez pour lui barrer le chemin.

Le ciel se déchira brutalement dans un vacarme assourdissant, crevé par un grand éclair. Le vent agita plus fort la cime des arbres alors que les premières gouttes touchaient les feuilles les plus hautes. Le ventre lourd des nuages ne tarda pas plus longtemps à décharger tout son fardeau sur la terre. C’était une pluie épaisse, drue et grise. Une pluie furieuse qui ferait gonfler les rivières et emporterait la poussière, les feuilles mortes, les aiguilles de pin, les branches cassées. Seule la foudre parvenait à percer à travers ce rideau humide, faisant naître des ombres grimaçantes pour une fraction de seconde avant de se retirer dans le ciel, laissant toutes les créatures vivantes aveuglées et craintives. Même une bête aussi puissante que Briam savait redouter la puissance dévastatrice d’un ciel en colère et préférait se terrer au sol.

Frémissant au contact des premières gouttes le long de son cou, le dragon bleu préféra bien vite s’abriter sous son aile, le museau caché dans sa queue, tel un immense chat frileux. Il en avait pour quelques heures avant de reprendre sa route, peut-être même pour toute la journée, aussi préférait-il fermer les yeux pour trouver un peu de repos. Les éléments déchaînés lui chanteraient une mélodie sauvage pour le bercer et combler son cœur éprit de liberté.

J’ouvre péniblement un œil avant de le faire cligner.
Un filtre rouge me cache la vue et me pique la rétine, provoquant une démangeaison fort désagréable. Je secoue la tête, qui me parait lourde alors que le reste de mon corps semble légers… Etrange sensation.

Une ombre sombre traverse mon champ de vision latérale à pleine vitesse sans que je ne puisse identifier l’objet.
J’ai comme le sentiment que quelque chose cloche. Un dérangeant ressenti qui me retourne tripes et sens.
Les deux yeux maintenant ouverts, je regarde mes pieds, lourdement chaussés de leurs bottes noires et, aperçoit les étoiles.

Attendez !
Voir les étoiles en regardant mes pieds ?

Je déglutis, difficilement, me remémorant avec angoisse ma situation. Passé, présent et futur s’entrecroisent en cet instant délicat.

Depuis dix ans, Grimmandir et moi nous sommes perdu de vue. D’un commun accord si ma mémoire ne flanche pas. Rien est moins sûr.
J’ai quitté les Vardens, Bromoran, Ilae, tous ceux qui m’ont accepté tel que je suis, qui sont devenus mes amis et pour qui je n’ai été qu’une intarissable source de malheurs. J’ai quitté Grimmandir pour lui permettre de vivre.
Car je suis voué aux drames, aux horreurs et je traîne la mort dans mon sillage.

J’ai cependant toujours continué le combat.
Jusqu’à aujourd’hui, encore.
J’ai recroisé la route d’un dragonnier ennemi, encore.
Je les ai combattus tout les deux, encore.
Nous nous sommes escrimés tous les deux comme des fous, encore.
Nous avons bataillé comme des forcenés sur le dos de son dragon, en plein vol…

Ah ! Je commence à entrevoir le pourquoi du comment des étoiles aux pieds !

L’ennemi à fini par me porter un méchant coup à la tête et me voici parti en chute libre dans le ciel orageux de cette sombre nuit.
Je ne peux pas mentir, je dois avouer que je redoute un peu de me retourner. Comment vais-je atterrir ? Coincé dans cette fichue armure noire ?

Je rebondis sur de grosses branches, mon heaume résonne contre plusieurs troncs, un éclair frôle mon petit orteil pour aller s’écraser au sol. Je crois bien que je vais finir en forêt. Que la grande faucheuse me prenne, je suis épuisé de cette vie.
Je rebondis contre quelque chose de dur, très dur. Quelque chose à l’éclat bleu. Une fraction de seconde plus tard, je m’écrase dans le sol dans un fracas métallique, me prenant une barre de ferraille sur la tête.
Aïe !
Je ne sens pas mon corps, je distingue mon épée non loin, une masse bleu mouvante non loin.

Grimm’…

Mon dragon, mon ami, mon frère, mon cœur. Je semble m’éteindre. Jamais je ne t’ai oublié.

Somnolente, la grande bête ne prêta pas attention au fracas des branches au-dessus d’elle. La foudre, sans doute. Qu’importe qu’une branche ou deux soient frappées par un éclair, avec cette pluie il était peu probable qu’un incendie se déclare. Mais le poids conséquent d’un homme en armure eut raison de sa torpeur, réveillant Briam en sursaut dans un feulement menaçant. Qui osait lui tendre une embuscade ? Qui pouvait être assez fou pour le déranger dans son sommeil, par un temps pareil ? Prêt à réduire en charpie l’insolent qui s’était écrasé contre son dos, il se redressa en labourant le sol autour de lui dans un grand mouvement et tomba nez à nez avec le malappris qui avait troublé sa quiétude.

À première vue, il s’agissait plutôt d’un cadavre en armure. Allons bon, les corps se mettaient-ils à tomber du ciel désormais ? Étendu au sol, les bras en croix, il ne semblait pas bien vif et sans son ouïe exceptionnelle, le dragon n’aurait sans doute pas réalisé que quelques expirations faiblardes s’échappaient encore de cette ferraille.
Rassuré de n’avoir aucun réel opposant à combattre, la bête fabuleuse se détendit sensiblement et daigna approcher du cadavre en devenir. Les chevaliers en armure, ce n’était pas vraiment mangeable, mais il pouvait faire preuve d’un peu de courtoisie et demander à cette armure volante ses dernières volontés. Curieux, il pencha son énorme tête sur le corps pour humer son odeur et pousser le plastron du bout du museau. L’homme était-il inconscient ? Ou peut-être déjà mort à présent ?

— Grimm…

Ah, il restait un peu de vie dans ce guerrier fauché par l’orage. Mais peut-être plus pour très longtemps, étant donné la chute et l’odeur de sang qui l’accompagnait. Perplexe face à cette découverte, Briam leva le nez vers le ciel à la recherche de ce qui pourrait expliquer la présence d’un chevalier dans cette forêt. Mais la végétation était dense et les nuages formaient une toile sombre opaque et strillée de pluie, même les yeux perçants d’un dragon ne pouvaient distinguer autre chose que les flashs crépitants de la foudre. Cela signifiait également que quiconque se trouvait dans le ciel, il ne devait pas y voir grand-chose non plus.
Revenant au chevalier-météore, le colossal reptile étendit une aile au-dessus de lui pour l’abriter de la pluie qui parviendrait sans doute à le noyer s’il demeurait allongé sur le dos comme une torture retournée. Habituellement peu enclin à faire la conversation avec les rares personnes qu’il croisait, il pressentit cependant que ce serait cruel d’abandonner là ce pauvre hère sans quelques mots.

*Guerrier, vas-tu mourir ?*

Certes, il aurait pu choisir de se montrer un peu plus encourageant, mais les subtilités d’une conversation avec un homme sans doute fracassé de la tête aux pieds lui échappaient un peu. Son esprit effleura celui du chevalier, comme la caresse d’un souffle de vent avant la tempête. Il manquait de pratique pour ce genre de communication et craignait de broyer, sans le vouloir, ce qu’il restait de conscience au blessé.

*Tu es tombé du ciel en plein orage. Tu es blessé et ton armure est lourde. Vas-tu mourir ?*

Ne serait-il pas plus charitable de mettre fin à ses souffrances immédiatement ? D’un coup de croc, lui arracher la tête et lui accorder un repos bien mérité. Mais cela ne coûtait rien de demander son avis à l’intéressé.

Je peine à ouvrir un œil.
Oui, je sais, cela devient une habitude.

Petit à petit, ma perception de la chaire qui est mienne me revient. Je sens que l’on me bouscule, même dans la mort le malin malheur me poursuit. C’est bien ma veine…
Le regard glauque et la vision floue, mes pupilles bleus percent les fentes de mon heaume. Une chaude brume m’entoure tandis que la pluie goutte sur le métal de mon casque. Le ciel, menaçant m’observe…
Ah ! Ben non !
Un immense voile se dresse devant mes yeux vitreux. Etonnant, il me semblait qu’à l’arrivée de la mort, le voile devant les yeux était blanc, non bleu…

Ma cervelle semble m’avoir précédée dans les tréfonds du monde car une question me parvient dans le vide mes mon esprit.
Allons bon ! Voilà que j’imagine des voix maintenant.
Vais-je mourir ? Ma fois, cela semble bien parti, oui. J’ai un goût ferreux dans la bouche, je crois avoir un peu mal aussi. J’ai la tête qui résonne, au point de me croire dans un temple.

Je vais pour répondre quand quelque chose pénètre mon esprit. Ce dernier n’avait donc pas complètement foutu le camp ?
Ce qui vient prendre contact avec moi semble entrer avec la délicatesse d’un bélier furieux lancé dans une échoppe de porcelaine. Les tempes me vrillent, un éclair bleu traverse mon crâne comme du temps où Grimmandir et moi étions fâchés et ou il me boudait.

Tombé du ciel ? A travers les nuages ? Quel mauvais présage !

Brusquement, une étincelle se fait dans ma caboche cabossée !
Dragonnier, dragon, combat et vol plané !
Chute libre et belle tannée !
Dans branches, un truc bleu et dur, de la poussière à mordre…

Je me relève brutalement

Je… ! BOOÏÏÏNNNGG !!!

Mon casque heurte violemment un machin dur, ce qui me renvoie illico le cul parterre. Sonné, encore, je secoue la tête pour tomber nez à nez avec un … gros, très gros nez.
Un magnifique et grand dragon bleu, tenant l’aile au dessus de moi, m’observe, le museau à deux mètres à peine.
Mon esprit ne serait pas un minimum revenu, je croirais voir Grimm, mais ce ne peut-être lui. Grimm était bien plus grand.
Je porte maladroitement deux doigts à mes lèvres.

Bonsoir Dragon, je suis Valaraukar. Pardonne ma surprise, mais j’eu connu un dragon de la même robe que toi. Mon ami Grimmandir, mais nous nous sommes perdu de vue il y a bien longtemps.

Je m’effondre alors, essoufflé.

Excuse mon arrivée brutale et imprévue. Je ne désirais pas te troubler. Pour te répondre, je ne vais pas mourir ce soir, non. L’heure n’est pas encore la mienne.

Je suis là, las, faisant l’étoile de mer dans ma carapace, reprenant mon souffle.

En fin de compte, ce petit homme avait bien plus de souffle en lui que ne le laissait penser son état. Il était même bien bavard pour un blessé, et plutôt imprudent. Qui pouvait être assez insouciant pour raconter au premier venu qu’il était dragonnier, mais sans compagnon dragon ? Briam aurait eu des sourcils, il les aurait sans doute haussés avec un certain mépris. Il était probablement en train de parler avec l’avorton le moins sensé de tout le royaume, c’était bien sa veine. Il se serait bien amusé à se faire passer pour un ennemi, juste pour le plaisir de voir ce bavard petit humain réaliser qu’il venait de livrer de très précieuses informations à la mauvaise personne, mais ce n’était pas drôle si la victime de sa mauvaise blague n’était pas en état de s’enfuir. Il ne résista cependant pas à l’envie de souligner à quel point cette réponse était inconsciente :

*Je vois. Tu es donc un dragonnier sans dragon, blessé en pleine forêt, à la merci d’une créature qui pourrait en finir avec ta courte vie. Et tu ne trouves rien de mieux à faire que décliner ton identité à un inconnu ainsi que celle de ton dragon ?*

Il souffla bruyamment par les naseaux pour marquer sa désapprobation.

*Tu ne dois pas beaucoup tenir à ton existence pour te montrer si peu méfiant. Je pourrais te dénoncer, t’achever ou laisser mon dragonnier le faire dès son retour.*

Il était bien présomptueux, après tous ces aveux, d’affirmer qu’il ne mourrait pas aujourd’hui. La grande bête n’était pas bien certaine de savoir si elle se sentait agacée par l’insouciance dont faisait preuve le blessé ou si elle éprouvait un peu de pitié pour lui. La vie pouvait se montrer particulièrement cruelle avec les personnes trop promptes à faire confiance.

La pluie ruisselante le long de ses écailles et de la crinière noire sur son cou l’obligea à s’ébrouer avec un frisson. Il était trop tard pour espérer échapper au froid à présent qu’il était trempé… Quelle idée de s’être avancé hors du couvert de son grand arbre pour inspecter un chevalier qui ne comptait même pas mourir ! Et maintenant, quoi ? Ils allaient se regarder dans le blanc des yeux jusqu’à ce que l’orage s’arrête et faire la conversation comme si de rien était ? Quoi qu’il restait bien un sujet plutôt préoccupant à aborder.

*Si tu n’as pas de dragon, comment es-tu tombé ici ?*

Pour monter dans le ciel, il n’y avait pas d’autres solutions que d’utiliser la magie ou se faire pousser une paire d’ailes. Et jusqu’à preuve du contraire, les hommes n’avaient pas d’ailes. L’idée d’avoir très bientôt la visite de l’un de ses congénères, peut-être accompagné de son dragonnier, n’enchantait pas particulièrement Briam. Il n’était pas à son aise en forêt et ne voulait avoir à fuir une confrontation pendant des jours en s’épuisant sur des centaines de kilomètres de vol. Alors si un adversaire devait prochainement pointer le bout de son nez dans les parages, à la recherche d’un guerrier nommé Valaraukar, le dragon bleu préférait en être avertis rapidement.

Au grondement que pousse mon infortuné compagnon, il semblerait que mon explication quant à ma présence ne lui convienne pas.
Il me le fait d'ailleurs clairement remarquer, sans mâcher ses mots et sans manquer de me remettre à ma place de larve bipède inutile.
Un peu de dignité Valaraukar, que diable!

Je pousse un soupir et me relève péniblement. Je ramasse mon épée pour la ranger au fourreau sans ménagement, semblant pendant un court instant délaisser complètement le dragon à mes côtés.
Il ne fera rien de plus que me bousculer du museau s'il perd patience, je le sens à son ton. Un brin agacé mais il n'est pas du genre à tuer sans raison. Je me tourne pour lui faire face et retire mon heaume avant de plonger mon regard dans le sien. Il est après tout bien plus convenable de s'adresser à quelqu'un à visage découvert, non? Même si ainsi je lui expose mes oreilles d'elfe tronquées ainsi que quelques cicatrices.
Il n'y à pas à dire, ce dragon bleu est superbe.

Je me suis mal expliqué. Je fus dragonnier, il y a bien longtemps. Je ne le suis plus depuis dix ans. C'est une histoire bien compliquée. Quand à mon état, rien de bien grave, je suis un peu secoué mais rien de cassé, là encore, c'est un chapitre long et compliqué à expliquer.

L'eau tombant du ciel me ruisselle sur le visage, dessinant des sillons de poussière et de sang mêlé.

Par ailleurs, je ne vous crains pas. Cela peut vous sembler présomptueux mais je ne sens pas d'agressivité venant de vous. Je ne vous souhaite pas de mal et n'ai pas cherché à vous nuire, même si je kiwi trop cuitçois avoir perturbé votre tranquillité.

Je m'ébroue un peu en regardant alentour avant de tiquer à sa question.

Je ne suis pas accompagné par l'un de vos semblable, en effet. Je suis arrivé ici en combattant un dragonnier de l'Empire sur le dos de son propre dragon. Il m'a frapper à la tête et je suis tombé. C'est aussi simple que cela. Je suppose qu'à l'heure actuelle ils me croient mort mais je ne peux écarter l'hypothèse qu'ils débarquent pour s'en assurer.

Je relève les yeux vers lui, un sourire peiné au visage.

Je suis navré mon ami, il semble que je vous contraigne à vous déplacer si vous ne voulez pas risquer une désobligeante rencontre. Je ne souhaite pas vous importuner d'avantage, aussi vais-je prendre le large, en espérant que s'ils reviennent ils ne vous remarque pas.

Je m'incline en le saluant et me retourne pour m'écarter, clopin clopant. Bon, je ne suis pas rendu...

Secoué mais rien de cassé ? Difficile à croire et pourtant l’elfe s’était remis debout seul. Briam ne commenta ni cette santé de fer, ni le sang que la pluie essayait de laver tant bien que mal. Il n’était pas médecin, ce n’était pas à lui de déterminer si oui ou non le petit elfe était bien en état de marcher. Le voir ranger son épée avec humeur ne l’inquiéta pas particulièrement, il ne sentait aucune hostilité émaner du guerrier et ses écailles valaient bien la plus solide de toutes les armures. Repliant son aile contre lui, Briam pencha sensiblement la tête sur le côté, comme pour évaluer son étrange visiteur sous un autre angle. Mieux valait ne pas relever le fait qu’il n’était visiblement pas craint, son égo de puissant dragon en prenait un coup mais il avait conscience que n’était pas là une insulte de la part de l’elfe. Il aurait tout de même apprécié éveiller un peu de frayeur…

La réponse à la fameuse question sur son arrivée fracassante ne fut pas non plus au goût du dragon, bien qu’il ne soit pas plus surpris que cela. L’Empire était partout et il y avait toujours de nouveaux dragonniers pour remplacer ceux qui tombaient. Mieux entraînés, mieux nourris, mieux équipés, ils étaient une menace sérieuse qui pesait tous les jours sur les dragons libres et les dragonniers rebelles. Leur hardiesse allait jusqu’à survoler les limites du Du Weldenvarden, pourtant protégé férocement par les elfes. Même ici, entre les arbres séculaires, il n’y avait pas vraiment de sécurité.

Le guerrier s’inclina dans un dernier salut, s’excusant pour toute la gêne que son arrivée inattendue occasionnait. Il n’avait pas trot, avec la menace d’une prochaine arrivée de dragonnier impérial dans les parages, il valait mieux s’éloigner. La créature fantastique souffla bruyamment par les naseaux mais conserva le silence. Malgré son caractère quelque peu revêche, il ne pouvait pas blâmer injustement Valaraukar pour cette mésaventure. Un violent coup de tonnerre ébranla toute la forêt, suivit par une bourrasque qui agita la cime des arbres. Le mauvais temps rendait le vol terriblement difficile et dangereux, mais cela n’arrêterait peut-être pas les poursuivants du guerrier. Briam l’observa un instant clopiner pour s’éloigner au hasard dans la forêt. À cette vitesse et avec la traînée de sang qu’il laissait, il ne risquait pas d’aller bien loin… Le bout de sa queue s’agita nerveusement, balayant le sol de droite à gauche alors qu’un dilème pointait le bout de son nez dans son esprit.
Il ne se mêlait pas des affaires des hommes et des elfes, c’était une ligne de conduite qu’il avait adopté depuis longtemps et il ne comptait pas en dévier. Sa vie avait trop de valeur pour qu’il la perde bêtement en jouant les héros. Cependant il avait conscience que l’elfe n’irait pas loin si son assaillant revenait pour l’achever, et ce serait en partie sa faute de ne pas l’avoir aidé. Il y avait une différence entre éviter de se mêler des affaires du monde et refuser son aide à une personne en détresse. Cela même si la personne en question était engoncé dans une grosse armure et ne demandait rien.

Se maudissant intérieurement de prendre une décision aussi inconsciente, Briam rattrapa en quelques pas le guerrier elfe et lui poussa l’épaule du museau pour le bousculer.

*C’est ridicule, tu avances à la vitesse d’une tortue. Il y a une clairière non loin qui peut permettre de se poser facilement en forêt, le dragon y est peut-être déjà à l’heure qu’il est et doit se diriger par ici. Tu n’auras jamais le temps de t’éloigner assez à cette allure.*

Le dragon bleu devança l’elfe et se coucha en travers de son passage.

*Monte. J’allais dans cette direction de toute façon.*

Il n’était pas certain de vouloir mettre le nez dans une affaire qui ne le regardait pas, mais il savait qu’il détestait l’Empire pour tout le mal qui était fait aux œufs et aux dragons, alors s’il pouvait les empêcher d’éliminer un rebelle de plus, pourquoi pas.

Peu habitué à avoir un cavalier, il aida de son mieux le guerrier à se hisser sur son dos avant de se redresser pour se mettre en route à grandes enjambées. Ils avaient perdu un temps précieux et à présent, Briam voulait éviter à tout prix de tomber sur un dragonnier impérial en vadrouille. Il choisit donc de se diriger vers la partie la plus dense de la forêt dans les environs, là où jamais un dragon ne pourrait atterrir depuis le ciel.
Le poids de l’elfe, même avec son armure, lui semblait si dérisoire qu’il dû jeter un œil en arrière de temps à autre pour s’assurer qu’il soit toujours là. C’était une sensation étrange d’avoir une petite créature sur le dos et de sentir parfois la pression de son assise ou de ses talons.

*Pourquoi te battais-tu contre un dragonnier si tu n’as plus de dragon ? Tu as toutes les chances de terminé en morceaux en t’attaquant à plus gros que toi.*

A peine eus-je tourné les talons pour mettre de la distance, que j'entendais bouger derrière moi. Le sol vibre légèrement tandis que je fais des enjambées réduites par mes courbatures. La pluie vient étaler mon sang sur mon visage, laissant suinter ma plaie.
Brusquement, une grosse masse puissante me bouscule l'épaule, manquant de me faire tomber. Je me retourne après avoir conservé mon équilibre pour faire face au dragon bleu. Les paroles de la créature fantastique me font rire doucement. Il a raison, évidement, mais que faire?

Votre remarque est pertinente mais...
Je l'observe me dépasser et se coucher devant moi, surpris. Je lève un sourcil, la bouche entre-ouverte. Ce qu'il me demande me laisse sans voix. Allons bon!
Je lui tombe sur le crâne et le voilà qui me propose de me trimbaler...
Je me doutais bien que ce dragon n'avait pas un mauvais fond, mais de là à m'embarquer...
J'étais réticent, n'ayant jamais monté un autre dragon que Grimmandir, mais je n'avais semble-t'il pas vraiment le choix.

Heyy!!

La créature me poussait pour me faire monter.

Ca va, je monte, je monte!

Une fois installé, mon compagnon repris la route, arguant qu'il avait prévu de prendre cette route de toute façon. Nous nous enfoncions toujours plus loin entre les arbres, en silence. J'étais un peu trop perturbé pour le remercier. A vrai dire, je ne savais pas vraiment quoi dire.
Je finis cependant par esquisser un sourir en remarquant qu'il ne cesse de regarder par dessus son épaule pour s'assurer de ma présence.

Merci pour le transport.

J'allais ajouter quelque chose mais la créature ailée me devança en posant une juste question. Une fois de plus, je pensais à Grim. Mon ancien compagnon me manquait. Je poussais un soupire avant de répondre aussi bien que possible.

Mon histoire est très longue. Avant de rencontrer Grimmandir, je luttais seul, contre l'Empire. Après être devenu son dragonnier, nous avons fait différentes rencontres qui nous ont menées aux Vardens. A partir de là, tout est devenu compliqué. Des amis à nous ont rencontrés de grave problèmes, nous avons étés vaincu méchamment lors d'un affrontement. A l'issue de cela, nous avons choisi de nous séparer, Grim étant jeune, il était hors de question qu'il ne connaisse que la guerre. A ce moment, je suis devenu commandant chez les Vardens et j'ai continué la lutte. Cela à encore duré quelques années puis je me suis écarté des rebelles après un accident. Je continue cependant la lutte, seul, comme il y à quinze ans.

Sans vraiment m'en apercevoir plus que cela, je pose la main droite sur l'encolure du dragon, geste habituel que j'avais avec Grim.

Jusqu'à présent, j'ai toujours réussi à resté entier.